IL FAUT QU'UNE PORTE SOIT OUVERTE OU FERMEE d'Alfred de Musset
A l'espace Essaïon Avignon à 19h
Touchante déclaration d'amour au théâtre
Chaque année, Isabelle Andréani et Xavier Lemaire livrent une vraie déclaration d'amour au théâtre. Si l'an dernier on les découvrait simultanément dans deux pièces d'horizons divers - L'Echange de Claudel et Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux (à découvrir absolument) - on retrouve les deux larrons en couple sur scène dans deux spectacles plus intimistes et tout aussi éloignés l'un de l'autre.
Qui es-tu Fritz Haber ?, pièce inspirée du Nuage Vert de Claude Cohen nous transporte au début du siècle dernier, au coeur du salon de l'inventeur du gaz mortel le Zyklon B, qui tua plus de 56 000 personnes durant la première guerre mondiale. Fritz Haber fier chimiste allemand est percuté par les propos de sa femme qui tente de le sensibiliser à l'immense boite de Pandore qu'il vient d'ouvrir. De là s'enchaînent confrontations du couple sur leur propre relation, sur l'avenir de leur fils, sur leur vision respective de l'évolution humaine, sur la religion et la science qui commencent à s'affronter sérieusement à l'aube du siècle le plus industriel de l'histoire... Un duel verbal qui s'endigue jusqu'à la folie tragique de l'épouse Haber, touchante et talentueuse Isabelle Andréani. (voir article ci-dessous) "Nous cherchons à allier divertissement et culture permettant au spectateur de ressortir enthousiaste et enrichi" explique Xavier Lemaire, créateur de la Compagnie qui remplit dûment son contrat avec les deux spectacles présentés cette année dans le Off. Outre le sujet difficile et instructif de cette première pièce, on se régale du vrai travail théâtral qu'il s'en dégage.
Isabelle Andréani, auteur, comédienne et metteur en scène |
Dans Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, les experts de Musset seront ravis de découvrir la recherche effectuée autour de l'auteur et de la vie théâtrale de l'époque tandis que les moins avertis se délecteront du travail de composition des acteurs et du texte élégant et corrosif du dramaturge. La "comédie proverbe" est précédée et incluse au sein d'une autre pièce, "La clef du grenier d'Alfred" sorte de prélude écrit par Isabelle Andréani elle-même qui met en scène la servante et le cochet d'Alfred de Musset. Deux personnages hauts en couleur passionnés par les textes de leur maître, et secrètement épris l'un de l'autre, s'amuseront à prêter leur trait à ceux de la marquise et du comte au sein du foisonnant grenier de l'auteur. Car effectivement, y-a-t'il plus belle déclaration d'amour que d'exprimer sa flamme par le biais d'une pièce mussetienne ? Petit bémol, on préfère presque le prologue à la vraie pièce de Musset... Les délicieux personnages écrits par Andréani sont francs du verbe, un peu paillards et très expressifs. La transformation soudaine en bourgeois les affadit, abaisse leur niveau sonore et édulcore des personnages certes nobles, mais pour autant ni plus sages ni moins délurés que ceux d'Edouard et Léonie. On perd malheureusement de cette folie comique qui caractérise les deux compères (et qu'on retrouve dans leur adaptation du Marivaux, un vrai bijou actuellement en tournée). Les comédiens nous font tout de même entendre le texte avec brio et nous régalent de leur spontanéité, de leur plaisir tellement visible d'être sur scène et de donner corps à de si beaux personnages...
L'hommage à Musset est brillamment rendu par cette intelligente mise en abyme qui régale les yeux, les oreilles et redonne goût au théâtre pour ceux qui l'aurait perdu en chemin, au beau milieu des 1 258 spectacles - de qualité très inégale - qui écument les 125 lieux devenant théâtres pendant 23 jours... Et quand il y a amour du théâtre, il y a forcément respect du public. Face à Xavier Lemaire et Isabelle Andréani, on se sent bien. Futurs festivaliers, n'hésitez pas !
S. Alunni
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