HEAVEN'S GATE
de Mickael Cimino (1980)
Plus de trente ans après son tournage, "La porte du paradis" arrive en fanfare dans les salles obscures et sa version restaurée, jusqu'alors inédite, nous fascine comme au premier jour. La fresque historique de Michael Cimino réussit à nous tenir en alerte durant trois heures et trente-six minutes, sans jamais se départir de son intensité cinématographique, et c'est un véritable tour de force.
Dès l'ouverture, avec la course échevelée de Kris Kristofferson pour retrouver les siens, suivie du discours de son complice, le jeune, fantasque et formidable John Hurt (préambule au tourbillon de la danse organisée par la promotion 70 du Harvard des années 1869), le film nous subjugue totalement. L'alliance chorégraphique de la danse des corps et de la caméra, sur la superbe valse viennoise de Strauss, nous donne le vertige tant la maestria de son réalisateur est grande.
Rares sont les films qui ont su garder un tel impact sur leurs spectateurs après plusieurs décennies. Et le grand écran restitue à merveille les magnifiques mouvements de caméra face aux décors naturels grandioses de ce très long-métrage qui se savoure sans effort grâce à son rythme soutenu, ses acteurs hors pairs (Jeff Bridges ou Christopher Walken), sa musique endiablée du Danube Bleu et son lot de scènes cultes. Outre les ballets à pieds ou en patin à roulettes qui traduisent la fièvre joyeuse de la vie, on découvrira une Isabelle Huppert débordante d'énergie, qui virevolte, parfois totalement nue, et qui conduit les chevaux à toutes allures. Mais aussi une scène effroyable dans laquelle James, le personnage phare, annonce les noms de la fameuse liste des gens à abattre. Toute l'intelligence de Cimino, grâce à sa mise en scène, est de transformer de vulgaires noms en visages et de mettre un point d'honneur dans la dimension tragique de cette situation, en reportant les mots à la conséquence humaine de l'acte qui s'ensuivra. On se délecte de scènes plus intimistes, de dialogue, comme celle de l'histoire du loup qui ne peut plus mordre, tournée en huis clos avec l'improbable Mickey Rourke. Sans oublier la foudroyante fusillade finale ! Car le ballet de l'amour finira en ballet sanglant. Le bonheur étant inaccessible lorsqu'une femme aime deux hommes à la fois, qu'un homme est déjà marié, et que les émigrés sont opprimés par le biais d'hommes politiques corrompus. Car cette "bataille du Comté de Johnson", sous le regard acéré et émouvant du réalisateur, est une page scandaleusement tragique de l'histoire américaine.
Tout comme le papier peint qui brûlera sans ménagement, ce symbole usité en vue de "civiliser la sauvagerie" illustre l'impuissance de la société à masquer la violence et l'injustice qu'elle contient. Et la fulgurance de ces dernières, tout comme ce héros qui n'aura finalement pas franchi la porte du paradis, nous laissent hagards, amers et désabusés, avec la nostalgie d'un somptueux souvenir.
Fait de grandeur et de majesté, ce film est l'occasion unique d'exhumer le talent d'un cinéaste engagé.
R. Pignon
Bande-annonce version restaurée (Vostf)
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